Dans l’industrie du tourisme, les cartes postales sont traditionnellement utilisées comme des souvenirs. Le souvenir est un objet de valeur d’acquisition généralement faible, fabriqué en série, qui représente et symbolise les caractéristiques d’un lieu. Ces caractéristiques sont considérées comme une iconographie représentant un lieu. Ce processus de représentation est une conséquence et en même temps nourrit la fétichisation et la transformation de ces lieux en marchandise sous forme d’image.
Le choix de ces points spécifiques modifie également les relations économiques, sociales et affectives de la ville. Le lieu devient reconnu en termes touristiques par ces caractéristiques, et l’exclusion inévitable d’autres points diminue la perception et l’appréciation d’autres aspects de la ville, ou d’autres réalités également présentes dans la ville. Ces derniers acquièrent un certain air d’invisibilité.
Le souvenir est acquis lors d’un voyage pour rappeler une visite (il sert de mémoire affective d’un lieu ; pour les narcissiques, il agit comme le trophée d’une réussite ; pour les consommateurs avides, il fait partie intégrante de la culture de l’accumulation) ou pour être un cadeau pour les proches, les amis et la famille.
Dans le cas de la carte postale, le texte écrit dans son vers ajoute à l’objet des souvenirs et des récits personnels. La personne raconte un peu son séjour à cet endroit ou les souvenirs de quelqu’un qui lui est venu à l’esprit à l’endroit de visite. En ce sens, la carte postale devient également un élément d’activation et de maintenance d’un réseau relationnel.
Le message envoyé sur la carte postale, autre que celui partagé sur un support numérique, n’est pas instantané. Cela peut prendre des jours, voire des semaines pour être reçu par l’autre partie. Cette caractéristique temporelle permet à la personne qui écrit d’établir une relation différente avec l’écriture et peut être comprise comme une invitation à la réflexion.
Ce message personnel rejoint une image produite en série et transformée en objet. Dans ce processus, ce qui a été produit en série, mécaniquement, est contaminé par cet univers intime. L’objet devient également un véhicule d’une expérience personnelle. Cette intimité et l’utilisation d’un objet de production de masse transformé en artefact artistique rétablissent une certaine aura à cet objet. La courte durée de vie, éphémère, de l’imprimé gagne en survie et les marques futures de l’action du temps renforcent l’aspect nostalgique de l’objet, renforcé par l’utilisation de la photographie en noir et blanc.
En cachant le principal élément d’attention du lieu touristique, j’invite le spectateur à utiliser sa mémoire et son souvenir (ou alors sa imagination) pour reconstruire ou construire l’image dans son esprit. Ou simplement pour créer une histoire basée sur ce qu’il ne voit pas, ce qu’il trouve caché, non révélé, invisible.
Avec ce geste simple, la représentation iconographique du site touristique est subvertie et la carte postale devient un souvenir d’un souvenir à compléter par le spectateur (mentalement ou par le message à écrire au verso) et par le destinataire du message.
L’environnement qui entoure cet élément devient également prédominant, symbolisant dans certaines images les conflits entre les autres réalités également présentes dans la ville.
En raison de leurs caractéristiques d’impression, les cartes postales présentent généralement de petites variations chromatiques. L’objet, lorsqu’il est reçu par son destinataire, porte aussi en lui-même les marques de son processus de distribution. Le travail est donc contaminé non seulement par le message à écrire, mais aussi par son processus de diffusion et production.
Cet aspect est exploré dans l’oeuvre. Le spectateur est invité à participer activement au travail en rédigeant un message et aussi lors du choix de la destination de ce message. Ce message peut être envoyé à une personne choisie par le spectateur ou à l’artiste. Dans ce cas, le message peut à l’avenir faire partie intégrante d’un deuxième acte de l’œuvre, où la carte postale sera présentée avec le message écrit et les marques du processus de diffusion.
Le spectateur peut également rédiger un message et laisser libre à la factrice / le facteur le choix d’une destinataire. Dans ce cas, le processus de diffusion présente encore d’autres contours: l’imprévisible commence à agir de manière évidente dans l’œuvre.
Enfin, le spectateur peut toujours sauvegarder le travail, en rejetant le partage, la diffusion et la participation à l’oeuvre, et en renforçant les aspects de l’accumulation et de la collecte.
L’oeuvre vise aussi à réduire la frontière entre l’art et la vie quotidienne, en utilisant l’art comme forme de communication et intégration des processus de collaboration, de production et de diffusion au travail.
2019, 18,9 x 14,1 cm. chaque, impression jet d’encre papier photo double face mat 250 gr. Schwarzwald Mülhe